L’abbaye royale de Hautecombe
Sur la rive est du lac, j’embarque à bord de l’Hélios, un bateau-mouche qui doit me transporter de l’autre côté. L’atmosphère est tranquille et l’eau, encore à demi endormie sous des nappes de brume, est verte, signe de propreté d’après le commandant de bord...
Un dimanche matin d’avril, au lac du Bourget
Sur la rive est du lac, j’embarque à bord de l’Hélios, un bateau-mouche qui doit me transporter de l’autre côté. L’atmosphère est tranquille et l’eau, encore à demi endormie sous des nappes de brume, est verte, signe de propreté d’après le commandant de bord. Difficile de croire qu’au XIXèmesiècle, plusieurs dizaines de pêcheurs professionnels (entre 40 et 150 selon les périodes) s’affairaient dans ce lac d’une profondeur de 80 mètres. On y pêchait le lavaret, la perche, le brochet et autres truites et sandres pour alimenter les marchés locaux. Le poisson était aussi livré aux restaurateurs du pourtour du lac pour satisfaire les papilles des touristes. Aujourd’hui, la tradition perdure, bien que dans une moindre mesure. Seuls une dizaine de pêcheurs détiennent leur licence pour exercer dans les eaux du lac.
Lorsque nous avançons sur l’eau calme, entre le massif du Jura et celui des Bauges, un magnifique paysage se dévoile peu à peu. Ce sont ce calme et ce paysage qui inspirèrent un certain Alphonse de Lamartine, lors de son séjour en 1816, pour écrire son poème « Le lac ».
Vers 10h, la brume se lève, laissant apparaître sur la rive occidentale l’abbaye royale de Hautecombe, nécropole des comtes de Savoie et de certains rois d’Italie depuis sa fondation au XIIèmesiècle. Perchée sur un éperon rocheux, avec sa tour octogonale, son église et ses bâtiments, elle semble régner sur le lac.
J’accoste juste à son pied. La grange batelière des anciens moines apparaît, encore debout après neuf siècles et une bonne rénovation. Je remonte un chemin ombragé en direction de l’éperon. Je suis environnée de nature quand soudain s’élève devant moi la façade imposante et gothique de l’entrée. Autrefois cistercienne, l’abbaye abrite aujourd’hui des membres de la Communauté du Chemin Neuf qui accueillent le visiteur et font vivre les lieux par leur prière.
À l’intérieur de l’église, le style architectural me surprend et me laisse rêveuse. En effet, le lieu, censé être sacré, ressemble plus à un château enchanté digne d’un conte de fées.
En souvenir du roi Charles-Félix de Sardaigne et de la reine Marie-Christine de Bourbon-Siciles qui ont refondé l’abbaye au début du XIXème siècle, deux statues imposantes ont été érigées de part et d’autre de la porte d’entrée.
On compte aussi 120 sculptures de pleureuses qui ornent les piliers de la nef et les cénotaphes latéraux, de grandes sculptures de chevaliers, des voûtes d’ogives ornées de fine dentelle en stuc et de peintures vives, des plafonds peints, des colonnes torsadées.
Le style, chargé et détaillé, s’intitule le gothique troubadour : réunion subtile d’architecture gothique anglaise et d’une forme idéalisée du Moyen-âge. Il fut créé spécialement au XIXèmesiècle par un architecte italien pour restaurer l’abbaye après les ravages de la Révolution française.
En ces lieux, une quarantaine de têtes couronnées reposent en paix pour l’éternité. Humbert II, dernier roi d’Italie, y fut inhumé en 1983.
La visite de l’abbaye de Hautecombe est comme un appel pour celui qui s’y aventure : le cadre naturel montagneux, le lac et la spiritualité qui se dégage de cet édifice multiséculaire invitent à faire rempart, à renforcer la forteresse intérieure de l’homme sans cesse assailli par les déraisons de notre monde. L’abbaye a gardé sa place, son Histoire, son identité, en dépit des évènements traversés. Au fil des siècles, ceux qui l’ont habitée et d’autres se sont battus pour qu’elle continue de vivre. Un bel exemple qui peut nous inspirer.
Une Brave de Lyon